figure d’interactivité. Concept problématique. Interface décrit un mode de représentation de l’interaction entre sujet et machine. Tentative de trouver un langage visuel et diagrammatique des opérations du calcul qui ont lieu à l’intérieur de la machine. L’interface, comme son nom l’indique, est positionnée entre l’interacteur et le programme.
« Les éléments graphiques des interfaces prennent une place primordiale dans la relation qui s’établit entre l’homme et la machine. Ils permettent au sens de s’incarner dans une forme matérielle et sensible… Un élément graphique est lié à des instructions qui s’exécuteront lorsqu’il sera activé par le biais de la souris. Son rôle est double : à la fois possibilité de provoquer une action de la machine — symbole de cette action — et outil permettant de la faire exécuter. On appellera désormais module une entité graphique. Un module est donc un objet biface dont l’une des faces est tournée vers l’utilisateur. C’est aussi un signe visuel dont l’autre face est orientée vers la machine : c’est le programme » — Jean-Marie Dallet, « Quelques éléments d’une grammaire du geste interactif », catalogue de l’exposition Artifices 4, 1996, p.46-7
En même temps que je manipule l’objet graphique, l’ordinateur lui aussi le manipule. On travaille ensemble, c’est un accord entre nous. Dans ce sens, l’interface profite d’une relation déjà établie entre humain et programme. Comme le dit Dallet, l’interface propose une image biface de l’interactivité : le même « objet » est à la fois entité et programme. Mais tant que l’interface cherche à donner une représentation à cette relation, une image transcendante de cette « action entre deux » (cf. in+ter+activité), elle n’est qu’approximation du véritable travail d’effort entre interacteur et programme. L’interface, en cherchant à donner une visibilité à l’inter-activité sans être impliqué dans sa constitution, la bascule encore plus dans les profondeurs de la machine. Elle n’est finalement là que pour montrer ce que se passe du côté de la machine. Mais tant qu’il n’y a pas de problème avec la machine, je ne vois pas pourquoi je devrais voir ce qui s’y passe dedans. On devrait me demander plutôt, et dès l’ouverture, ce que je veux en faire. On voit mal comment on pourrait construire un véritable événement à partir de l’interface : elle s’impose comme un interdit entre l’interacteur et le programme, un pourparler à la fois pour la machine et pour l’interacteur. Elle est une image fausse de l’abstraction du diagramme. Il s’agit finalement d’une figure de la communication. Mais l’interactivité n’est pas seulement une activité qui a lieu entre interacteur et programme, elle est cette activité elle-même. Qu’il y ait diagramme d’interactivité ne veut pas dire qu’il y a un deuxième degré d’accès à l’événement, perché au-dessus, cela veut dire que l’événement se passe au niveau même de l’abstraction du diagramme. Le diagramme transforme à la fois le programme, l’interacteur, et l’action en image d’opérations et de trajets. Il les met sur un seul et même plan. Il crée une machine abstraite qui englobe interacteur et programme. Nous travaillons directement sur ce plan d’abstraction, à la fois pour l’interacteur et pour le programme. L’interface, au contraire, propose une sorte de substrat pour l’interactivité, où l’on n’accède que par envois de coursiers.
L’espace est neutre, voilà le mot terrifiant de l’interface. Mais l’interactivité n’est jamais neutre dans la mesure où elle a déjà transformé la main de l’interacteur dès sa saisie de la prothèse. Sa relation défait l’autonomie des deux termes sans en faire une symbiose. C’est plutôt une inversion. L’interface interdit toute inversion et tente de la remplacer par l’image d’un accord sans accordage (cf. fréquence). Elle ne permet pas non plus la réflexion, car elle veut rendre visible le tain du miroir en même temps que sa réflexion. L’interface n’est finalement pas de l’ordre de l’abstraction, mais de la représentation. Elle rend visible la machine, ce qui n’a pas de sens car la machine, n’étant qu’un diagramme de « possibilités de fait », n’a rien à montrer mais plutôt tout à créer. Même la programmation, quand elle est lisible, n’est pas neutre dans cette lisibilité : elle nous tire dans une élasticité du temps sans nous dire exactement comment sa promesse sera actualisé. (cf. RIG). On dira que l’image biface n’a d’intérêt qu’à partir du moment où elle ne se pose pas entre les deux faces de façon neutre mais crée en fait l’événement de sa pose. C’est en fait ce que Dallet laisse entrevoir quand il signale que l’interactivité est de l’ordre du performatif, c’est-à-dire qu’elle crée ses termes d’héritage : « Si l’on regarde ce qu’implique pour l’ordinateur le geste de cliquer sur une cible, on comprend qu’il déclenche un processus de modification des informations stockées dans la mémoire morte, ou présentes en mémoire vive. Le geste spécifie, indique à l’ordinateur le type de transformation à effectuer. De ce côté-là du miroir, la formule « dire c’est faire » s’inverse pour devenir faire c’est dire. Un module apparaît alors comme une machine transformationnelle, une machine à faire faire sur laquelle se connecte une “machine désirante” » [« Quelques éléments d’une grammaire du geste interactif », p.48]. À partir du moment où « cliquer » transforme le programme on ne peut plus dire qu’il y ait interface mais surface réfléchissante incurvée. Quand l’image biface se trouve impliquée dans l’événement on ne peut plus dire qu’elle est transcendante par rapport au plan de matérialisation. Elle devient l’événement même de cette transformation : elle réfléchit à la fois l’interacteur et le programme et crée en fait une image de leur relation. C’est cela l’interactivité, et la raison pour laquelle en ce qui concerne l’interface, il faut la mettre la poubelle.
cf. arborescence, catalogue, interacteur, -trice, scène
bibliographie :
- Brenda Laurel, Computers as Theatre, Addison-Wesley, 1991, 1993
- Brenda Laurel, The Art of Human-Computer Interface Design, Addison-Wesley, 1991