Dans l’interactivité, la bifurcation peut décrire deux choses : 1. le branchement d’un trajet dessiné dans le parcours des bases de données et qui me permet, à un point donné, de choisir entre plusieurs trajets conséquents ; 2. (d’après la théorie du chaos) une transformation dans le fonctionnement d’un attracteur interne au système, et son basculement dans un autre fonctionnement. Puisque les hypermédias sont, la plupart du temps, modélisés à partir de la figure de l’arborescence, l’idée d’un branchement dans les parcours est souvent invoquée. Dans ce cas, l’interactivité est en quelque sorte à l’extérieur du phénomène, et détermine un peu arbitrairement le choix de tel ou tel chemin à prendre. Du point de vue de l’effort, cette figure d’interactivité est un peu fatigante, sauf si elle est reliée à la figure du piège, c’est-à-dire à un effet d’inversion par lequel l’interacteur se trouve pris dans son propre choix. Quoi qu’il en soit, la figure de la bifurcation aurait au moins le mérite de suggérer qu’un phénomène ou une image est fractal et que cette image a profondément besoin d’être dépliée pour être saisie. Bifurcation comme figure abstraite d’une interactivité de deuxième degré (cf. choix)… Mais c’est alors que nous arrivons à la deuxième définition de « bifurcation », c’est-à-dire à la possibilité d’affecter un point d’attraction, d’en modifier son programme. L’attracteur a été défini comme une « machine virtuelle » qui agit sur un champ donné en permettant d’actualiser telle ou telle tendance d’organisation de la matière dans ce champ. L’attracteur, c’est la tendance que le programme a à faire circuler une bille autour d’une autre, comme s’il s’agissait d’une lune autour d’une planète. Il ne s’agit pas de trajets pré-dessinés. Il s’agit en fait, des préférences du programme, ce qu’il cherche à faire avec les éléments tant qu’il n’y a pas d’autres attracteurs qui les tirent de ce programme. Mais qu’est-ce qui se passerait si j’introduisais l’idée d’un basculement des attracteurs du programme, où les attracteurs se transformeraient par exemple, en répulseurs ? J’ajoute à ce moment une bifurcation dans le programme de la machine virtuelle, et j’en fait une toute nouvelle machine : tout à coup les éléments du programme qui attiraient les autres, commencent à les repousser, à les envoyer dans le sens opposé. Dans ce cas, la bifurcation décrit le mouvement autopoïétique du programme, sa capacité d’y créer une machine virtuelle à l’intérieur, ce qui crée en fait de toutes nouvelles machines, fonctions, actions et interactions. La bifurcation décrit dans ce sens la transformation d’un attracteur en un nouvel attracteur. C’est la transmutation du programme.
cf. attracteur, machine abstraite, sombre précurseur
bibliographie :
- Manuel De Landa, War in the Age of Intelligent Machine, Zone books, 1991
- Gilles Deleuze & Felix Guattari, Mille Plateaux, ed. de Minuit, 1980
- Ivar Ekland, Le chaos, Flammarion, 1995
- Felix Guattari, Chaosmose, ed. Galilée, 1992
- Ilya Prigogine et Isabelle Stengers, Entre le temps et l’éternité, Flammarion, 1988
- Ilya Prigogine, Le lois du chaos, champs Flammarion, 1994