L’interactivité, réinsérée dans une définition de la jouabilité, s’inverse du coup par rapport à sa définition populaire. La définition populaire de l’interactivité est que l’interactivité permet le controle de la machine, permet à l’utilisateur de controler la machine et de la faire subir les operations qu’il souhaiterait à la machine. C’est une définition humaniste et par extension métaphysique : je controle la machine en interagissant avec elle, je suis maître d’elle. Mais avec la définition de jouabilité que nous avons proposé, on ne peut plus parler de maîtrise de la machine, dans le double sens de cette expression. L’interactivité devient seulement la mesure de mon affectation dans la machine, la part que la machine me réserve dans son fonctionnement.
Black Box
On sait bien, avec un peu de lecture, que la définition cybernétique de l’interactivité est également en opposition avec la défintion populaire comme controle de la machine. On pourrait même dire qu’elles n’ont rien à voir ensemble, bien qu’elle utilisent les mêmes termes. La causalité circulaire, qui est le principe cybernétique de l’interactivité, est emminenment plus complexe que cette définition populaire, et ne prends pas, par définition, de position ni par rapport à la machine, ni par rapport à l’utilisateur. Dans la définition cybernétique de la causalité circulaire, la machine est une boîte noire pour l’utilisateur et l’utilisateur est une boîte noire pour la machine. Ce qui importe c’est le dispositif de controle englobé dans l’ensemble objet-action-rétroaction. La cybernétique est une pensée du controle, avec la nécessité de redéfinir le mot à partir du mot grec, “Kubern”, qui veut dire “gouverner”. Ce n’est plus le controle d’un terme par rapport à l’autre, mais la recherche d’équillibre des divers intervenants dans la chaîne de causalité circulaire. Le joueur, à partir de sa position dans l’enchaînement cybernétique, cherche son équillibre dans un système qu’il ne contrôle pas, par définition.
Invahisseurs
Dans le jeu célèbre de Space Invaders, je suis seul contre une armée entière. C’est une idée révolutionnaire dans les jeux vidéo, et c’est une idée qui a même dépassé le domaine de l’informatique. On peut y voir, par exemple, dans des personnages comme Bruce Willis ou dans mon “gouverneur” à moi Arnold Schwarzenegger, la retranscription de Super Mario sur pellicule 35mm en Super Super Mario, sauveur de l’humanité entière. Mais il y a une différence importante : dans le film hollywoodien il y a un “Happy End”, alors que dans le jeu video cela termine toujours en misère, fin de partie, “Game Over” (cf. Exhausting Gameplay). Et cette différence se trouve inscrite dans la machine qui actionne la narration. Dans la machine cinématographique hollywoodienne, il y a une fin qui dépend du dispositif matérielle, il y a donc une fin, et cette fin ne peut qu’être heureuse puisqu’elle est inscrite au départ dans la longeur de la pellicule. Dans le jeu informatique, par contre, il n’y a pas de fin possible, d’où la nécessité d’une fin misérable où les extraterrestres dancent sur notre cadavre. Comme la machine tourne jusqu’à ce qu’on la débranche, elle peut multiplier les attaques, jusqu’à l’épuisement du joueur. Cette épuisement est l’intérêt propre de ce jeu video, c’est une des raisons même que j’y joue. La machine me dépasse, et c’est parce que je ne la controle plus que je trouve un plaisir d’y jouer. La jouissance du jeu informatique tient à la désorientation du joueur, de son introduction dans un dispositif autonome qui le dépasse. C’est la recherche d’une rencontre avec le 3ème type qui me pousse à lui donner des sous, c’est l’abandon dans un dispositif extraterrestre qui donne au joueur son expérience ésthétique.