Lexique / donnée acéphale

Douglas Edric Stanley

2006.08.28

Une donnée acéphale est une information qui a perdu son contexte — son contexte d’origine, son contexte de destination, peu importe. Un email, un fichier, voire un morceau ou un « paquet » d’un tel fichier perdu dans la communication TCP/IP, pourrait éventuellement devenir des données acéphales. Mais nous réserverons ce terme surtout pour des machines qui découpent volontairement les données de leurs contextes, des machines dont la fonction première est la décontextualisation des données.

La nature même de l’informatique, sa structure discrète, démorcelé, peut d’un certain point de vue suggérer que toute donnée est une donnée acéphale ou une donnée potentiellement acéphale, et que ce n’est que par usage qu’elles se relient à leurs têtes, à leurs contextes. Mais un point de vue plus pragmatique, tiré justement des usages des données, suggèrerait de que les données sont peut-être vouées à de multiples usages, elles n’ont néanmoins dans la plupart des cas des contextes au moins inscrits dans la chaîne de leur usage. Autrement dit, les programmes ont tendance à bien gérer leurs données.

Un des gestes artistiques ouvrant à la logique d’une machine abstraite et permettant la création d’oeuvres insolites, pataphysiques, et innatendus, serait de chercher à décontextualiser ces données, de les rendre temporairement acéphale pour les relier à de nouveaux usages, pas initialement prévus lors de leur création (cf. Carnivore, How To Win Super Mario Bros, Noisy Nucleus).

Notre usage ici du terme de décontextualisation vis-à-vis la donnée acéphale ressemble d’assez près au concept de « déterritorialisation » inventé par Deleuze et Guattari (cf. « Qu’est-ce que la philosophie, p.66 » (Gilles Deleuze, Felix Guattari ; Qu’est-ce que la philosophie ? ; 1991 ; pp. 66) ). Il s’agit d’un procédé non pas de neutralisation (négative) de la donnée, mais d’une liberation (constructive) de la donnée vers d’autres usages. Elle reste une donnée, mais d’une données pas encore inscrite dans une chaîne fonctionnelle de la machine. Comme dans le cas de la déterritorialisation, pour la donnée acéphale la décontextualisation va souvent de paire avec une recontextualisation. Cette nuance est importante, car elle nous rappelle qu’il n’existe pas « d’assemblages » (encore du vocabulaire de Deleuze et Guattari) qui seraient purement abstraits, déconnectés de tout, dans une sorte de relation sans relations. Même ce que Deleuze et Guattari appelle des « déterritorialisations absolues » existent sur sur un « plan d’immanence » où les relations ne sont pas annulées : elles existent plutôt dans un rapport transontologique — autrement dit dans une potentielle de relations pas encore attribuées (cf. « Qu’est-ce que la philosophie ?, p.85 » (Gilles Deleuze, Felix Guattari ; Qu’est-ce que la philosophie ? ; 1991 ; pp. 85) ). De la même mannière, une donnée acéphale fait partie d’un procédé de décontextualisation, mais toujours en attente d’une nouvelle recontextualisation. Une donnée existe pour être dans une chaîne de données, d’être emboîté sur le collier des opérations de la machine.