Mouvement déformant de la machine informatique par lequel l’ordinateur introduit une fonction créatrice depuis son intérieur. Le programme, qui pilote la machine et organise les trajets de ses circuits, est construit en fait de la même matière que ce dont il est censé faire la gestion : le programme est une information comme une autre. Mais cette information s’infiltre dans les rangées de la grille du circuit intégré pour faire de ces diagrammes fixes des diagrammes en mouvement, des diagrammes de fonctionnement. La programmation, ou programme, est une sorte de déconstruction depuis l’intérieur où la machine se donne de nouvelles figures. Mais ces figures ne sont pas à leur tour fixées dans la machine comme un gardien qui en remplace un autre : le programme est en veille constante et guette à tout moment la disparition qui l’attend. Le programme est le devenir de la machine, et décrit en quelque sorte l’interaction que la machine a avec elle-même, la façon dont elle se joue elle-même comme d’une main étrangère. Le programme permet de propager une sorte de machine abstraite dans laquelle la machine n’est au fond que la production d’autres dispositifs, d’autres énoncés, d’autres agencements. Le programme fait et défait la machine en même temps dans un même mouvement. C’est à la fois sa fonction éphémère (v. temps réel) et sa consistance dans la durée. En ce qui concerne l’interactivité humain-machine, le programme ne constitue pas seulement l’interface mais son véritable événement. Comme je viens de l’indiquer, le programme prend la logique informatique de la machine (apesanteur, abstraction des moyens de communication, fonctions logiques) l’imite et la déforme, comme un asymptote qui tirerait vers lui-même l’hyperbole qu’il est en train d’imiter. Il se débrouille pour faire de toute cette abstraction quelque chose. Du côté de l’interacteur, le programme se re-configure également autour de lui, à la fois en lui proposant des événements et en l’intégrant dans le mouvement même de ces événements. Ces deux mouvements sont d’ailleurs les mêmes : interagir avec la machine ou regarder la machine construisent tous les deux des approches interacteur-machine et, du point de vue de la programmation, dans les deux cas le programme travaille en fonction d’un affichage et donc d’un interacteur, voire d’une extériorité a priori. Le programme est ouvert sur l’interacteur, de la même façon dont il est étalé partout sur le circuit intégré. L’interactivité maintient cette ouverture :
« C’est probablement l’idée d’une liaison de la notion d’interactivité à celle de saisie, qui m’a incité à regarder prioritairement l’ordinateur dans sa dimension interactive. L’interactivité foncière de cette machine, pour ses utilisateurs, pouvait être maintenue dans ses produits. Schématiquement, les entités travaillées par l’informatique pouvaient rester ouvertes malgré la césure du passage de leur production à leur réception. Ou bien encore, la machine reste la même, qui voit le travail de l’auteur et de ses lecteurs, qui partage l’exercice de ses utilisateurs » — Jean-Louis Boissier, Programmes interactifs, catalogue de l’exposition au Centre d’art dIvry-CREDAC, 1995, p.5
Mais c’est justement cette dernière phrase, la plus intéressante : « la machine reste la même », que nous contestons ici, en suggérant que c’est une autre machine, une machine toute autre, du début jusqu’à la fin de son processus, ou pour parler comme un philosophe, c’est une machine en devenir. C’est probablement ce que Jean-Louis Boissier veut dire quand il suggère qu’il y a une ouverture essentielle dans l’informatique. Cette ouverture est ce que nous appelons l’approche commune entre interacteur et machine, l’effet de prothèse ou d’inversion, ou tout simplement le travail de l’effort à la rencontre entre sujet et technique. N’oublions pas aussi que le point de départ du programme vient également de l’interactivité, car la programmation est elle aussi un geste interactif…
cf. configuraton, diagramme, dysfonctionnement, fonctionner, information, machine abstraite