Au fond, un jeu informatique est un programme comme un autre, et la jouabilité finira fatalement par dévoiler cet aspect programmé de l’objet et l’ouvrira sur une variabilité ontologique. On pourrait revenir sur les célèbres exploits de joueurs de jeux video où, par le biais du seul joystick, ils réussisent à faire planter le programme et à transformer Pacman en logiciel de dessin. Mais de tous ces exemples, celui de la série Red vs Blue parle encore plus directemment de ce détournement, de ce rappel du fond logiciel logé dans chaque jeu video et qui l’ouvre à de multiples fins. Red vs Blue est une série téléchargeable sur Internet, une sorte de pièce de théâtre enregistrée comme on a pu en faire à la télévision dans les années 1960, sauf que la “scène” se passe matériellement à l’intérieur d’un jeu video — “Halo” — joué sur un Xbox. Chaque personnage est joué par un marionnettiste en réseau, qui anime son personnage avec un joystick. Dans l’histoire, les personnages se trouvent à l’intérieur d’un jeu de combat violent entre deux parties, mais passent finalement leur temps à discuter de tout sauf la réussite du combat. Au lieu de jouer, ils passent leur temps à glander et à parler de leur sort. De la métaphysique à comment enlever sa combinaison pour pisser, tout y passe. Mimant des répliques sorties tout droit d’une pièce de Beckett — “ta combinaison est rose”, “mais non, elle est rouge claire”, “exactemment, elle est rose” — on assiste à un En Attendant Godot tourné à l’intérieure d’un console soi-disant fermé (Xbox) et d’un jeu soi-disant préprogrammé (Halo).
Dé-ontologie ou hacking
Depuis les origines de l’informatique, ou au moins depuis les travaux de cryptologie d’Alain Turing pendant la deuxième guerre mondiale, l’informatique est traversée par l’idée de “Reverse engineering”, le façonnage à l’envers ou inversé, qui nécessite la création d’un simulateur de l’objet que l’on souhaite reproduire, à partir de son seul “output” ou rendu. On fait jouer la machine, on regarde ce qu’elle rend comme résultat, et avec ce procédé on cherche à la refabriquer autremment par d’autres moyens, mais toujours avec le même rendu. C’est un procédé qui fait naître une nouvelle déontologie, une véritable dé-ontologie, où l’ingénieur s’en fout à la limite de la matérialité de l’objet — c’est une matérialité quelconque — il est à la recherche du rendu. Mais ironiquement, cette dé-ontologie de la machine va de paire avec une obsession de plus en plus grand avec la matérialité de la machine elle-même, de ses stratégies de fonctionnement. Le Hacker est à la recherche de comment faire faire, mais fini, comme le joueur sur son Playstation, par devoir deviner le fonctionnement pseudo-matérielle de la machine dans ses opérations d’actualisation. A partir de cette devinette, il peut fabriquer son simulateur, qui devient, comme pour le joueur, un véritable savoir-faire sur la machine.