Pourquoi ne pas écouter les psychologues quand ils nous donnent de bons conseils pour nos interactions avec nos enfants ?
« Le jeu habituel “je vais t’avoir” quand il est joué dans la version de “la petite bête qui monte” consiste en la répétition d’une montée des doigts le long des jambes et du torse du bébé qui finit à son comble par une chatouille dans le cou ou sur le menton. On le joue encore et encore, mais chaque montée des doigts est différente de la précédente en vitesse, en suspens ou en accompagnement vocal ou autre. Le nourrisson restera d’autant plus longtemps ravi que la personne qui joue introduit une proportion optimale de nouveautés, à chaque répétition du jeu » — Daniel Stern, Le monde interpersonnel du nourrisson, p.102, The Interpersonal World of the Infant, p.73-74
Il est relativement facile d’introduire de la variation dans la programmation d’un événement. L’interacteur le fournit constamment avec les variations qu’il propose à l’ordinateur : observez des gens interagir avec des ordinateurs et vous verrez qu’on va jusqu’à insister plus ou moins longtemps sur le bouton de la souris pour introduire une intensité dans les mouvements du système. Mais même s’il est facile d’introduire de légères variations du côté du programme et dans l’analyse des réflexions de l’interacteur, on le fait rarement, c’est-à-dire pas du tout. L’importance de la variation ne devrait pas toutefois nous occulter l’importance de la répétition, car la répétition est souvent source elle-même de nouveauté, comme on peut le voir dans la musique minimaliste ou celle de John Cage. Mais la répétition dans la variation est très utile du point de vue de l’interactivité car elle permet d’aligner intérêt, apprentissage, et événement.
« Il y a deux raisons pour lesquelles les personnes qui s’occupent de bébés se donnent à ce type de répétitions variées. Si la personne fait exactement la même chose à chaque répétition, le nourrisson s’habitue et son intérêt s’émousse. Le bébés déterminent rapidement si un stimulus est le même que l’un de ceux vus ou entendus immédiatement avant. Si c’est le cas, ils cessent rapidement d’y réagir… Mais alors, pourquoi ne pas introduire quelque chose de complètement différent à chaque fois ? Pourquoi avoir recours à des variations sur un même thème ? Cela nous mène à la deuxième raison, l’importance de l’ordre des séquences de comportement et de leur répétition. Une des tendances fondamentales du psychisme que le nourrisson montre volontiers est la tendance à introduire un ordre dans le monde en recherchant des invariants. Une structure dans laquelle chaque variation successive est à la fois familière (la partie qui est répétée) et originale (la partie qui est nouvelle) est idéale pour apprendre au bébé à identifier les invariants interpersonnels » — Le monde interpersonnel du nourrisson, p.102. The Interpersonal World of the Infant, p.74
cf. décalage
illustration :
séquences interactives, CD-Rom de La Revue Virtuelle, programmation Douglas Edric Stanley. De façon systématique, les séquences interactives que j’ai conçues et développées pour La Revue Virtuelle, et pratiquement tous les dispositifs interactifs que j’ai développés depuis, ont utilisé des procédés de variations. Souvent ces variations ne sont pas de l’ordre du perceptible, mais de l’ordre du ressenti. Les nuances peuvent venir soit du son, soit de l’image, voire des décalages introduits entre les deux. La plupart du temps, la variation consiste en un combinatoire de sons ou d’images qui s’interchangent pour donner différentes combinaisons à chaque geste ou action répétitive. Puisque l’interactivité doit être appris, on a besoin d’une certain figure de répétition pour permettre un schéma d’interactions possibles, c’est-à-dire une représentation d’interaction généralisé (RIG). Mais comme l’interactivité est aussi de l’ordre de l’expérience, il faut varier ces répétitions pour introduire des respirations propres au dispositif pour que l’interacteur puisse y trouver sa place. Pour La Revue Virtuelle ces variations ont la plupart du temps été travaillées du côté du son. Dans l’exemple montré ici, les sons de déplacement ont eu trois sons de base qui, pour des raisons de place occupée dans la mémoire, ne devaient pas dépasser 1,5 secondes. Certains ne durent que 0,5 seconds. Mais à partir de ces trois sons, une multitude de combinaisons ont été possible car une logique d’emboîtement a été inventée où les sons pouvaient être joués successivement comme des perles sur un collier pour construire différents événements sonores. Par exemple, le son « A » a été monté en boucle pour qu’il puisse être joué indéfiniment jusqu’à ce que l’interacteur cesse le déplacement du dispositif. Le son « B » a également été monté en boucle pour pouvoir permettre une variation avec le son « A ». Le son « C » par contre, était un son ponctuel, qui ne pouvait être joué qu’en fin du mouvement, c’est-à-dire comme un decrescendo. Avec le procédé d’emboîtement on pouvait avoir alors des séquences comme A->C, B->C, A, B, C, d’une variation infinie de longueurs puisque le son « A » et le son « B » pouvaient tourner en rond jusqu’à ce que l’interacteur décide d’arrêter son trajet. On doit introduire alors une petite règle où il est bien d’avoir plus de deux sons, c’est-à-dire au moins trois, et surtout avec des longueurs variables, pour donner l’impression d’une multitude plus grande de nuances sonores. À partir de trois sons, on retient moins la répétition (on n’est plus dans l’alternance mais dans la variation), même si, bien sûr, après un certain temps cette répétition devient plus sensible. Avec mes nouveaux projets artistiques, dont un est déjà en production, ce procédé de variation atteint son sommet puisque non seulement les images et les sons sont en variation constantes, mais les récits eux-mêmes sont génératifs, c’est-à-dire que l’histoire se construit au fur et à mesure de la consultation, et qu’à chaque fois qu’on recommence le récit les chances sont de l’ordre de 1,000,000,000 sur 1 de retomber sur la même combinaison de données. Même si l’histoire de base est la même, sa façon d’être racontée est infiniment variée. Elle devient à chaque fois, une nouvelle combinatoire narrative.