Le fait même qu’on s’approche de l’oeuvre, implique qu’on est saisi par le dispositif et sa configuration. Comprendre en quoi consiste l’oeuvre, en quoi consiste son approche de l’interactivité, c’est comprendre déjà quelque chose sur ce qu’elle fait et ce qu’elle est. L’approche de l’interactivité, c’est à la fois la façon dont l’interactivité marche, le mouvement de rapprochement de l’interacteur envers le dispositif, et le rapprochement que l’interactivité fait de deux mondes incompossibles, c’est-à-dire celui de l’interacteur et celui du programme (cf. configuration, hyperbole, marionnette). On oublie souvent l’importance de cette approche de l’interactivité dans la scénarisation des dispositifs, car on imagine que ce qui est important est ce qui va entrer dans l’oeuvre, non pas ce qui va sortir. Mais aussi important que le contenu de l’oeuvre est la façon dont l’oeuvre va engager l’interacteur et actualiser ce contenu. Car s’approcher d’un dispositif, c’est s’approcher d’une machine d’exappropriation qui déterritorialise le sujet et l’introduit dans un véritable processus d’invagination où il se trouve pris dans la machine et éjecté hors d’elle. Une sorte de fort-da freudien à l’envers, où le dispositif tire sur l’interacteur pour le jeter hors de sa porté, dans le mouvement même du jeu proposé.
illustration :
« La bobine », Globus oculi, installation interactive, Jean-Louis Boissier, 1992.
« Dans La bobine, le fort-da freudien est illustré, de façon volontairement naïve, par le jeu d’un diptyque vertical. Les images du haut voient la main du bébé se saisir de la ficelle et la tirer hors du champ. Les images du bas voient apparaître et disparaître la bobine. Le lecteur n’a qu’à passer d’une image à l’autre pour relancer le jeu. Le raccord entre ces images est à la fois vrai et faux. S’il se réalise ici, c’est par la ficelle qui se tend. Cependant, la scène se renouvelle continuellement, car le programme tire, littéralement, au hasard, les suites constitutives de photogrammes. Chaque état, initial ou final, est ponctué, dans une traduction française libre, par les mêmes cris : « L’est là ! », « L’est parti ! ». Le geste compulsif, la scansion en va-et-vient, se trouvent en quelque sorte vérifiés par leur transfert dans les comportements que j’ai observés : la plupart des lecteurs appellent cinq, dix, vingt fois cette navette, jusqu’à s’imprégner de sa ritournelle. Je reprends ce modèle psychanalytique, ce jeu si souvent cité comme « tentative de maîtrise symbolique de l’absence et de son objet », parce qu’il est « quelque chose dont, finalement [on] va faire une image ». Il pourrait fort bien constituer un paradigme du dispositif interactif » — Jean-Louis Boissier, Programmes interactifs, catalogue de l’exposition au Centre d’art dIvry-CREDAC, 1995, p.13-14
Description de l’oeuvre à laquelle j’ajouterai ceci pour expliciter ce qu’y est déjà dit : par une approche de la main de l’interacteur, on trouve à la fois son extension et son inversion à travers la ficelle qui le relie à la machine, qui actualise dans la figure de cette approche la bobine figurée sur l’écran. Situation un peu analogue à celle de la manipulation quotidienne de la « souris » des ordinateurs personnels qui reproduisent à la lettre cette figure de la bobine et le constant rapprochement — éloignement qu’elle implique.