Wooden Mirror

1999.01.01

Comme la série des Reactive Books de John Maeda dans les années 1990, Wooden Mirror de Daniel Rozin représente une œuvre charnière. Nombreux sont les œuvres qui découlent des logiques qui se concrétisent dans le Wooden Mirror. Dans la suite de la transformation de l’image graphique vers le graphisme algorithmique opéré par John Maeda, le Wooden Mirror laisse figurer toute une série de nouvelles transformations de ces mêmes images vers leur physicalisation. L’intérêt de ce travail — comme celui de John Maeda d’ailleurs — sera d’illustrer de façon presque schématique ces transformations en les réduisant à leurs composants algorithmiques les plus reconaissables. La transformation de l’image programmée en une image modulaire physicalisée sera ici aplatit dans un diagramme parmis les plus simples imaginables. En disant cela, nous n’enlevons en rien la force poétique de cette œuvre; rare sont les œuvres qui concrétisent au début d’une lignée artistique l’essentiel en une économie de moyens. Normalement, ce sont les œuvres successives qui jouent ce rôle. La force poétique de cette œuvre d’ailleurs tient quelque part dans la simplicité de cet applatissement et dans sa résistance à cette configuration technique en tant que configuration technique.

Le diagrame précis de la machine est le suivant :

visage -> camera -> TrackThemColors -> tableau -> ascii -> port série -> transducteur -> moteurs -> bois

Un spectateur, une figure humaine, se tient devant un cadre. Ce cadre est composé de morceaux de bois dans des motifs plutôt dans le style Vasarely, d’ailleurs l’ensemble se trouve à l’intérieur d’un cadre octogonal, d’où le supçon d’une référence au moins implicite. Mais à la place de mutations géométriques via des effets optiques, le Wooden Mirror déforme littéralement la surface du cadre au moindre déplacement phyisque du spectateur. En bougeant devant le mirroir, le spectateur change physiquement la surface du tableau : l’image dans le cadre est exactement le reflet de celle vue depuis le point de vue du cadre lui-même. Deux images sont ainsi en adéquation et se composent via des volumes physiques (corps + bois). Cette capture se fait d’abord par une petite camera CMOS qui se trouve en plein milieu du tableau entre quatre lattes de bois. Ensuite, via le logiciel de capture conçu par Daniel Rozin lui-même, le dispositif capture les chiffres émises par la caméra et les rentre dans un tableau numérique. Ces numéros sont ensuite traduits en ascii, le lingua franca de la robotique, pour piloter un circuit qui transforme ces informations en de véritables mouvement des lattes en bois via des moteurs : des valeurs colométriques de 0% à 100% de noir ou de blanc deviennent des pulsions électriques entre 0V et +5V, ce qui fait bouger les mouteurs plus ou moins dans un sens ou dans un autre. Le résultat devient que les pixels composés sur la surface de la camera se reflètent physiquement sur la surface du tableau avec des mouvements physiques des moteurs : la valeur d’un pixel optique devient la valeur physique via la transducteur électronique. En enlevant tous les détails techniques, on pourrait même simplifier ce procédé algorithmique sans perdre grand chose dans le résultat :

visage -> camera -> tableau -> transducteur -> bois

Le visage et le bois seront nos deux pôles non-algorithmiques de la chaîne. Mais en prenant une photo 30 fois par seconde du premier et en utilisant cette photo pour moduler phsyiquement l’état du deuxième, nous arrivons à construire un rapport algorithmique entre les deux via deux procédés de transduction : du physique vers le numérique, du numérique vers l’électrique qui devient enfin le passage de l’électronique en physique de nouveau.

Daniel Rozin, Wooden Mirror
Daniel Rozin, Wooden Mirror
Daniel Rozin, Wooden Mirror

Wooden Mirror ne fait aucune autre transformation fondamentale de l’image dans cette enchaînement. C’est un rapport de 1:1 entre le visage et l’image dans le cadre. Il met en relation un visage et un ensemble de morceaux de bois qui dansent au moindre inflexion du celui-ci. D’où une certaine phénomène d’amplification du visage du spectateur, ou plus précisément la déterritorialisation de celui-ci pour sa reterritorialisation ailleurs. Mais cette déformation du mirroir, qui le rapproche des mirroirs déformants des fêtes foraines populaires, sera uniquement dans la transformation d’une matière première en une autre — et dans ce sens le bois nous rappelle quelque chose de la marionnette, voire même le visage de pinnochio, c’est-à-dire une animation, et donc une expressivité, générées à partir d’une matière tout simplement morte (cf. Asymptote).

C’est dans ce sens que Wooden Mirror annonce les enjeux futurs de la transformation des Graphical User Interface en des physicalisations algorithmiques hautement modulaires. N’importe quoi peut passer dans la moulinette de la machine abstraite : visage, lumière, son, peau, crachat, chaleur, bois, cailloux, chiffre, lettre, …, et ressortir par n’importe laquelle de ces voies.