Les ordinateurs sont binaires, c’est-à-dire qu’ils opèrent par oscillation entre deux états exclusifs. Mais les états 0 et 1, « on » et « off », true et false, n’ont pas de valeur en soi, sauf dans leur valeur d’opposition relative. Mais cette opposition ne crée pas de sens, même si cela construit une tension interne, et donc une structure idéologique de la machine. Pour qu’il y ait sens (signification), il nous faut un sens (orientation), et le 0/1 informatique n’échappe pas à cette nécessité. Il est vrai que les ordinateurs sont remplis de valeurs purement arbitraires, mais le rôle des ces valeurs sont tout sauf abitraires car elles définissent des états très particuliers de la machine en s’enfilant dans des emplacements spécifiques qui attribuent des roles spécifiques à la machine à tel ou tel moment de son déroulement. Un ordinateur est remplit de valeurs arbitraires qui définissent des états spécifiques, ce qui semble totalement absurde pour nous, puisque c’est avec du n’importe-quoi que la machine construit des spécificités.
En réalité, c’est la localisation de la machine et sa nécessité d’opérer par rouages spatiales qui définissent ce jeu du n’importe-quoi-spécifique. Tout comme il y a un emplacement d’une barrette de mémoire ou d’une instruction-en-train-d’être-calculée, il y a un emplacement de chacune des valeurs arbitraires de la machine. En regardant dans une liste de « régistres » d’un Gameboy, par exemple, nous voyons que le tout premier registre — 0x000 — contrôle l’affichage vidéo et contient une série de 16 sous-emplacements (cf. GBATEK pour une liste de toutes les registres du console Gameboy Advance et leur signification). Chacun de ces emplacements peut contenir soit un 0, soit un 1, et le programmeur (ou le programme) est libre de choisir n’importe laquelle de ces deux valeurs. Par contre, la conséquence de ce choix n’est absoluement pas arbitraire et aura des conséquences : si nous plaçons une valeur de « 1 » dans le premier emplacement, nous activons une résolution d’affichage de 240 x 160 pixels; mais si nous attribuons une deuxième valeur « 1 » deux emplacements plus loin, nous activons une toute autre résolution d’affichage, c’est-à-dire 160 x 128 pixels. Le système est extrêmement précis, avec chaque emplacement qui signifie quelque chose de très précis (« cette image est visible », « celle-là n’est pas visible », « générer une fréquence nkHz », etc). Un emplacement est potentiellement très différent de son emplacement voisin.
Il y aura donc un sens pour les machines algorithmiques, qui se définit dans la disposition ou la configuration des emplacements. C’est l’héritage de la Turing Machine et le rôle qu’elle donne à la spatialisation dans le contrôle du flux de l’algorithme. Dans les consoles de jeu vidéo, le choix de ces emplacements peut déterminer des stratégies économiques significatives. Dans le jeu de l’emulation, on peut changer l’emplacement physique en lui donnant une nouvelles adresse, sans affecter le comportement : par un simple procédé de déroutage on achimine les données déstinées à un emplacement a vers un emplacement b. Ce qui construit au final une nouvelle architecture à l’intérieur d’une autre, et en quelque sorte une forme d’hyperspatialisation : on ne perd pas l’importance de l’emplacement dans la définition du « sens » de la machine, mais l’emplacement exacte de cet emplacement devient lui-même arbitraire. C’est probablement pour cette raison que les nouvelles générations de console de jeu vidéo, comme le Xbox360 ou le Playstation3, contiennent chacun un « hypervisor », qui détermine le rôle des emplacements, et contrôle donc le détournement des emplacement, ce qui permet aux deux sociétés — Microsoft et Sony — de contrôler l’accès à la puissance de leurs machines respectives.