Object v87D2

Douglas Edric Stanley

2002.09.22

Object is at once a game, a puzzle, a universal programming environment, and a video editing suite. The key to “Object” resides in its algorithmic nature: video grows laterally, in mosaics of visual concrescence in which narrative passes from one image to the next within a network of independant and autonomous events. Any type of image can be added to the mosaic, and visitors are invited, via a webcam, to add their own images to the collective database.

Abstract Machine : Object

Une des premières machines que nous avons conçu pour témoigner des changements algorithmiques de l’image cinématographique (cf. cinéma algorithmique) s’appelle Object (The Object Machine). Il s’agit à la fois d’un jeu, d’un puzzle, d’un environnement de programmation universelle, d’un logiciel de montage vidéo et d’un système de mixage pour VJs. Au départ, La machine Object a été un outil pédagogique conçu au cours d’un atelier au National College of the Arts au Pakistan. Le but était de montrer aux étudiants en art comment fonctionnait un circuit informatique, et de proposer une image interactive de la porte logique. On importait des images vidéo, et chaque image devenait un interrupteur, une porte logique, assemblés à l’intérieur d’une chaîne.

Douglas Edric Stanley, Object, National College of Art

Le lieu de cet enchaînement transformait l’écran en terrain (« plot » en anglais), avec parfois des centaines d’images en mouvement reliées entre elles. La clé de La machine objet réside dans cette configuration spatio-algorithmique où la vidéo pousse latéralement, dans des mosaïques visuelles où la narration passe d’une image à une autre à l’intérieur d’un réseau d’événements horizontaux et combinatoires.

Matrices. La machine objet démontre une transformation qui devrait maintenant être pour nous d’une évidence : la temporalité de l’image a changé. Pour tout art de l’image qui dépend du temps, cette transformation est déterminante. Contrairement à ce que se disent beaucoup de cinéastes aujourd’hui pour se rassurer, l’entrée de l’image vidéo ou cinématographique dans l’ordinateur transforme radicalement cette image. Pour commencer, elle n’est plus liée, comme par fatalité, à telle ou telle cadence technique, voire physique, d’enregistrement ou de lecture. Les interfaces de programmation de la plate-forme vidéo Quicktime sont très explicites sur ce point : quand on crée une image Quicktime, ses données — sa résolution, ses dimensions — peuvent être à n dimensions. On peut avoir une largeur ou une hauteur dynamiques, mais aussi une profondeur temporelle dynamique, même plusieurs profondeurs temporelles (n temps) en constante redéfinition ; le programmeur n’a qu’à définir la topographie de la matrice pour la fixer sur « une image ». Des effets spéciaux comme ceux qui sont popularisés dans le film Matrix sont la conséquence et non pas la cause de cette transformation. Les données qui forment l’image « flottent » dans un espace potentiel pas encore défini. Une image vidéo sur ordinateur n’est pas techniquement fixée à tel ou tel rapport au temps, ni à l’espace, comme a pu l’être la caméra du cinéma classique hollywoodien. À cause de ce caractère hyper-dimensionnel, l’image numérique change sa relation au temps, ce qui change radicalement les possibilités d’une esthétique de l’image en mouvement, ainsi qu’une narration basée sur elle. Elle peut intégrer des aspects de la temporalité cinématographique (on peut voir un film sur son ordinateur), mais elle n’est nullement limitée ou même concernée par cette temporalité. Au plan atomique, les données sont hyper-temporelles et l’image change de caractère selon les points de vue, selon les « fenêtres » ouvertes sur les données qui la composent.

Douglas Edric Stanley, Object, 2002
Douglas Edric Stanley, Object, 2002

Une des conséquences les plus déterminantes devient que le montage — pour reprendre un mot encore dans son sens cinématographique — pousse latéralement plutôt que par succession. C’est l’influence spatiale de la base de données.

In general, spatial montage could involve a number of images, potentially of different sizes and proportions, appearing on the screen at the same time.
– Lev Manovich ; The Language of New Media ; 2001 ; pp. 322

Bien qu’on ait déjà vu des écrans multiples et de multiples images dans l’image au cinéma (de Gance à Hitchcock en passant plus récemment par Frankenheimer, Greenaway ou Kounen), l’image multiple et multipliée dans l’imagerie discrète de l’informatique n’a pas le même « sens » que ces anciens procédés. Même le célèbre « Time Code » de Mike Figgis — où quatre images enregistrées numériquement sont mises les unes à côté des autres — prolonge un vieux rêve du cinéma, décrit dans « notes » de Tarkovsky comme l’ultime image cinématographique, à savoir un travelling infini sans montage où le temps de déroulement serait « le même » que le temps de l’enregistrement. L’informatique n’a pas les mêmes prérogatives que le cinéma, elle aurait plutôt tendance à explorer les multiplicités temporelles cachées dans une même image. On peut mettre une image à côté d’une autre, et explorer la façon dont elles interagissent et cette relation construira elle-même une (nouvelle) image. Dans La machine objet, ce procédé est rendu explicite : on place une image à côté d’une autre, puis une autre et une autre, pour finir avec un schéma latéral d’interactions entre images. Chacune des images est branchée sur ces voisins, comme des dominos, mais multidirectionnels. En actionnant une des images, les autres se mettent à vibrer, à jouer, en cascade. On voit le montage se créer sous les yeux, on peut le modifier pendant qu’il tourne : il n’y a plus de séparation entre le plaisir de monter la combinaison des images et le plaisir de les regarder (se) jouer. Les deux procédés (manipuler/regarder) découlent du même jeu. Cette particularité a déjà montré une diversité d’usages inattendus : La machine objet a déjà été utilisée comme système d’analyse de film, mais également comme plate-forme d’improvisation pour un mixage vidéo-musical. Le fait de poser les images les unes à côté des autres et de leur donner chacune leur propre comportement dans la programmation, ouvre de nouvelles esthétiques et de nouveaux usages encore à inventer. On n’est pas dans l’image multimédia, on est dans une image spécifique à un média spécifique : celle de l’image programmée. Le plaisir vient des combinaisons d’interactions entre les images, et non plus, comme au cinéma, du jeu de leur succession. C’est avec ce raisonnement que nous arriverons plus tard au modèle d’un montage algorithmique, basé sur l’idée de la « Concrescence » où l’association des images fait partie du jeu. Les images s’agglutinent, s’agencent entre elles, et l’arrivée et la disparition des images peut se produire à n’importe quel moment.

Douglas Edric Stanley, Object, Villette Numérique 2002
Douglas Edric Stanley, Object, Villette Numérique 2002