Image/ine

2004.11.26

Image/ine (maintenant appelé ImX) a été conçu par Tom Demeyer dans les années 1990 au laboratoire Steim, en étroite collaboraiton avec la plasticienne/vidéaste Steina Vasulka. Pour comprendre le sens de ce projet, il faut poser cette collaboration à côté d’une autre collaboration, plus célèbre celle-ci : Nam June Paik et Shuya Abe pour leur Video Synthesizer. Dans un cas autant que dans l’autre, un artiste conçoit un programme à partir de ses résultats, pendant qu’un ingénieur (ici « programmeur ») explore les possibilités à partir du potentiel de la machine. Et dans les deux systèmes, on construit une machine à moduler des flux, permettant des manipulations singulières des matériaux temporels.

Tom Demeyer, Image/ine

Comme ce tableau de bord indique, tous les paramètres des images en mouvement sont accessibles dans Image/ine : taille, position, temps, vitesse, pixels, orientation, etc. Et plus important encore, chacun de ces paramètres peut devenir une variable pour un autre paramètre. Le time-code de l’image peut affecter son orientation, créant ansi une sorte de film-horloge; la position de l’image peut être affectée par un cycle sinusoïdale, faisant rebondir l’image qui dans son déplacement pourrait affecter à son tour les couleurs de ses pixels internes en fonction de la valeur de sa position x ou y; etc. Les exemples peuvent s’enchaîner à l’infini, car le jeu dans Image/ine est d’imaginer différentes formes à partir d’une des enchaînement encore à inventer.

Hans Zimmer avec son synthésizeur modulaire
modular synthesizer

L’équivalent serait justement les synthésizeurs modulaires des années 1970, comme celui de Paik, ou des synthésizeurs musicaux avec des « patch cords » qui récupèrent un générateur de fréquences par exemple et l’utilisent pour moduler un filtre sur une autre fréquence oscillée. De la même mannière, Image/ine contient des oscillateurs qui peuvent être reliés à la vitesse de lecture d’une bande vidéo : en modulant cette oscillateur, on module la vitesse de la vidéo.

Ce n’est pas pour rien qu’une des logiques de base d’Image/ine consiste à associer le mouvement temporel d’une image à la pulsation d’une onde sinusoïdale. Car ces nouvelles formes n’évacuent pas le temps de l’image, ni le mouvement, mais les placent dans une autre logique temporelle, et qui crée une autre topologie : le temps devient un noeud compacte, plié sur lui-même, transformant l’ensemble en une pulsation. C’est une des adaptations nécessaires pour rendre l’image-mouvement compatible avec le processeur, pour ensuite la faire saisir par l’algorithme. On recherche une boucle infinie à l’intérieur de l’image, figure primordiale pour le fonctionnement de la machine à son plus bas niveau, mais qui ici remonte à la surface des traitements et s’exprime en plein milieu. L’image pulsée, l’image-pulsation (nous sommes très loin de la définition psychanalytique), construit une boule rythmée qui du coup peut facilement coexister comme des notes avec d’autres rythmes. Ce n’est pas étonnant si cette nouvelle forme de l’image en mouvement trouve un des usages les plus efficaces dans la création musicale.

Steina Vasulka
Steina Vasulka

En même temps, Image/ine ne fait qu’annoncer cette transformation de l’image mais ne l’actualise pas totalement dans sa logique conceptuellement récursive comme nous verrons plus tard. Image/ine reste un synthésizeur. Car en réalité ce logiciel était conçu pour Steina Vasulka, et elle comptait l’utiliser pour revenir continuer ses expérimentations commencés par « Violin Power » en 1978. Et comme dans cette œuvre plus ancienne, Black Ribbon lui permet de jouer l’image manuellement, comme une sorte de guimauve — de la moduler en temps réel, à l’aide de son violon branché sur la machine (cf. Audiovisual Environment Suite de Golan Levin). L’image travaille sur l’image mais reste toujours au niveau de l’image, ce qui est ironique puisqu’il s’agit d’un deuxième signal, le violon qui pilote le premier. Mais on passe de signal à signal, et donc entièrement dans un enchaînement de traitement du même ordre.

Cette configuration — violon qui joue l’image — précédera donc son utilisation de l’Black Ribbon, et c’est pour cette raison que nous le rapprocherons plutot au synthésizeur de Paik et Black Ribbon, qu’aux environement comme Max/MSP et Jitter, bien qu’ils y ressemblent beaucoup. Bien que le procédé engage des jeux algorithmiques classiques dans la programmation graphique (croisement des variables) , il garde toujours, à cause de cette histoire particulière, quelque chose de singuler dans son maniment des signaux et tant que signaux.

Nous retiendrons donc principalement deux aspects de ce travail: son rapport à l’image comme animé par une pulsation modulable, et l’ébauche d’une machine abstraite, en écho à celle de Turing, qui permet de manier à part d’une seul machine, une multitude de flux dans des configurations de plus en plus folles les unes que les autres.