Lorsque nous parlons de machines abstraites, par « abstrait » nous pouvons aussi bien entendre « extrait » au sens d’extraire.
–; Chaosmose ; 1992 ; pp. 55 Félix Guattari
Abstraction en tant processus, en tant que verbe — abstraire — du latin « abstractus ». « Abstrait » se comprend d’habitude en opposition à « concret » : l’abstrait c’est ce qui est de l’ordre de l’Idée avec un I majuscule, Idée platonicienne. C’est ce qui est immatérielle, comme l’âme du Pape mort par rapport à sa dépouille laissé sur terre. Mais il y a cette autre définition du mot « abstrait », et qui s’entend à partir du verbe, « abstraire », en passant près de son cousin « extraire ». « Abstraire » vient du latin abs (à) et de trahere (tirer). De la même façon que nous pouvons extraire le jus d’un fruit, nous pouvons également abstraire, c’est-à-dire tirer, le concept d’un phénomène. Le geste de l’abstraction est une action d’extraction du monde concret, mais du fait de l’extraction, garde les traces de son objet. Autrement dit, bien que l’usage veut de l’abstraction qu’elle soit dématérialisée, idéale ou détachée des choses concrètes, pour nous elle devrait être comprise au contraire à partir de ce sens étymologique comme l’action d’abstraire de la matière quelque chose de ses qualités. Ainsi, nous ouvrons le mot sur un processus par lequel les qualités sont extraites des processus concrets, et rendu malléables à des circonstances qui varient. L’abstraction est bel et bien dans ce sens une forme de distanciation des actualisations tangibles, d’où le risque de l’élévation des abstractions à un niveau généralisé. Mais une abstraction d’un phénomène concret ne perd pas sa relation à ce phénomène. Ce n’est pas un idéal Platonicien. Nous utilisons donc les termes « abstract », « abstraction », et « abstraire » dans le sens d’un processus. L’abstraction sera utilisé pour décrire des qualités devenue motrices, dans le sens d’une distanciation des détails concrets d’une entité qui peuvent générer de nouvelles entités. De ce point de vue, l’abstraction est lié au concept de la générativité, puisqu’elle permet à des phénomènes de donner naissance à de nouvelles phénomènes. Elle est également lié à l’idée de la saisie, puisqu’en abstrayant un phénomène on finit par capturer quelque chose de celui-ci par un procédé de distillation.