- Artiste: I/O/D; Graham Harwood; Stephen Metcalf; Scanner; Mark Amerika
- date: 1997-11-27
- Lien: http://bak.spc.org/iod/iod4.html
Le Web Stalker est un programme de visualisation du web on ne peut plus simple : on lui donne une adresse de départ puis il montre avec des dessins vectoriels tous les liens de cette adresse, puis tous les liens de ces sous-adresses avec leur liens respectives, et cætera. Il s’agit d’une œuvre importante dans l’histoire du « Software Art » et un des premiers exemples de « browser art », c’est-à-dire de « navigateur artistique ». Le Web Stalker est un navigateur parfaitement fonctionnel et utilisable, mais avec un rendu visuel très différent ce qu’on entend classiquement par « navigateur » Internet.
Replaçons le Web Stalker dans le contexte de son époque. On est en 1997, en plein milieu des « browser wars » et la profusion de « plug-ins » qui cherchent à s’imposer. En 1997, le navigateur Mosaic est depuis longtemps délaissé comme browser trop ringard, et littéralement trop académique : il avait été conçu à l’intérieur du système universitaire américain et n’évoluait pas à la vitesse phénoménale du Web. En 1997, l’usage du navigateur commercial (wikiepdia:Netscape keyword:Netscape_Navigator language:fr) et de son concurrent Internet Explorer de Microsoft sont de-facto devenus les nouveaux standards pour naviguer sur le Web, mais cherchent à discréditer l’un et l’autre en rendant volontairement incompatibles leur deux navigateurs. Parallèlement à l’imposition de Netscape et Explorer, la société Macromedia introduit des plug-ins multimédia Shockwave et Flash, et la société Sun fait la promotion de leur machine virtuelle Java. Bien que d’autres plug-ins concurrents sont aussi introduits pendant cette période, ce sont ces trois produits qui s’imposent et permettent — chacun à sa manière —, d’importer des images en mouvement, des sons et de l’interactivité à l’intérieur des pages web et transposer à Internet quelques-unes des technologies et logiques développées auparavant pour le marché du CD-Rom culturel.
Toutes ces technologies prises ensemble composent le portrait inquiétant d’un World Wide Web totalement opaque. Un des aspects fondamentaux du World Wide Web — et qui le distingue des technologies qui l’ont précédé — concerne sa transparence informationnelle. On peut même argumenter que c’est cette transparence qui a permi au web de faire exploser Internet et le transformer en ce qu’il est aujourd’hui. Mais en 1997, Explorer et Netscape sont totalement fermés vis-à-vis cette transparence (Netscape a depuis rendu public ses codes sources, mais Explorer reste fermé) alors que par définition une page web doit être ouverte pour être échangée et donc lue. Du côté des plug-ins (wikiepdia:Flash keyword:Adobe_Flash_Player language:fr) et Shockwave la situation était encore pire (et reste problématique encore aujourd’hui), puisque non seulement les moteurs graphiques ne permettait pas de dévoiler leurs secrets d’affichage, les codes sources des pages qui s’en servait était également des documents privés. Alors que l’ensemble des documents que toutes ces technologies étaient sensés traiter circulaient dans un espace qui existait grâce à une accessibilité idéale (n’importe quel ordinateur en théorie doit pouvoir lire cette page). En conséquence le Web devenait rapidement un espace totalement opaque pour l’utilisateur lambda, et transformait le Web en une sorte de vitrine mystique d’où émanaient des informations qui venaient d’on-ne-sait-pas-où.
Le Web Stalker est né dans cette soupe brouillée d’information. Mais au lieu de construire encore une page de plus à noyer dans cette soupe, le Web Stalker propose plutôt une toute nouvelle forme de browser qui évite totalement la soupe et ramène le web à ce qu’il a de plus intime : du texte et ses liens (il est pour cette raison cité souvent comme un des premier exemples de « Software Art » (cf. code|art)). Il faut rappeler que jusque-là, « l’art » sur réseau était plutôt conçu comme quelque chose qui émergerait en tant que contenu à l’intérieur de toutes ces technologies opaque qui se transformeraient à leur tour en des technologies de support. Au lieu de proposer une œuvre art à l’intérieur du navigateur épaisse de codes non-lisibles et de plug-ins opaques, le Web Stalker suggère que l’image artistique peut se construire plutôt à partir de la couche plus fondamentale du code de visualisation lui-même. Un lien constitue ce qu’il a de plus ouvert sur le réseau puisqu’il forme à lui seul la promesse même du web. Du coup, l’artiste n’est pas obligé de se cantonner aux programmes multimédias fermés et devenir en quelque sort le papier-peint divertissant de ceux-ci, c’est-à-dire assujetti au code « professionnel » contrôlé par des sociétés privées qui — eux —, dicteraient les règles de ce qui est visible et ce qui est non-visible, de ce qui est représentable et ce qui n’est pas représentable. L’artiste peut poser à travers le code lui-même des questions de représentation, de lisibilité, de figuration, de simulation. Le Web Stalker enlève d’ailleurs toutes les images, sons, animations, ou interactions et ne garde que l’hypertexte : le Web Stalker est une forme de visualisation du Web et bien que d’autres logiciels de visualisation (« data visualisation » software) viendront par la suite pour donner des portraits diagrammatique du World Wide Web, le Web Stalker était le premier à revendiquer cette portraiture comme le lieu même d’une forme esthétique. Il est complémentaire dans ce sens aux de-browsers (dé-navigateurs) de JODI.